Contexte réglementaire : RGPD et notion d’intérêt légitime
Le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) impose aux entreprises de respecter des principes stricts lorsqu’elles traitent des données personnelles. Toute utilisation de données personnelles – y compris pour développer des solutions d’intelligence artificielle (IA) ou d’automatisation – doit reposer sur l’une des bases légales prévues par l’article 6 du RGPD. Parmi ces bases légales figure l’intérêt légitime du responsable de traitement, c’est-à-dire le fait pour une organisation de poursuivre un intérêt réel et licite justifiant le traitement, à condition que cela n’affecte pas de manière disproportionnée les droits et libertés des personnes concernées. Cette base légale est souvent mise en avant par les entreprises privées pour le développement de systèmes d’IA, notamment lorsque recueillir le consentement explicite de chaque personne est difficile (par exemple, en cas de collecte massive de données en ligne ou de données issues de sources publiques). L’intérêt légitime est ainsi présenté par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) comme « la base légale la plus couramment utilisée pour le développement de systèmes d’IA », tout en rappelant qu’il ne peut être mobilisé qu’en respectant certaines conditions et garanties.
Depuis son plan d’action sur l’IA lancé en 2023, la CNIL a travaillé à clarifier le cadre juridique applicable à l’IA afin de sécuriser les acteurs et favoriser l’innovation, tout en assurant la protection des droits fondamentaux. Dans cette optique, la CNIL a publié en juin 2025 de nouvelles recommandations à destination des professionnels, à la suite d’une consultation publique, pour préciser comment utiliser la base légale de l’intérêt légitime dans le développement d’IA de manière conforme au RGPD. Ces recommandations détaillent les conditions à respecter – par exemple en matière d’analyse de nécessité, de mise en balance des intérêts ou de transparence – et proposent des garanties concrètes à mettre en œuvre (exclusion de certaines données de la collecte, transparence accrue, facilitation de l’exercice des droits des personnes, etc.). L’objectif est d’apporter de la sécurité juridique aux PME innovant grâce à l’IA, en leur montrant qu’un développement responsable et conforme au RGPD est non seulement possible, mais constitue un facteur de confiance pour le public.
L’intérêt légitime comme base légale : les trois conditions à remplir
Avant de plonger dans les recommandations concrètes, il convient de rappeler que le recours à l’intérêt légitime exige de satisfaire trois conditions cumulatives définies par le RGPD et précisées par la CNIL:

Un intérêt légitime poursuivi par l’organisme
L’organisme doit identifier un objectif licite (conforme au droit) et concret qu’il souhaite atteindre grâce au traitement. L’intérêt ne doit pas être confondu avec la finalité du traitement (la finalité étant l’objectif spécifique, alors que l’intérêt représente le bénéfice plus large attendu). Par exemple, pour une PME développant une IA, des intérêts comme la recherche scientifique, l’amélioration d’un service, la lutte contre la fraude ou l’optimisation interne peuvent être considérés a priori légitimes. En revanche, un intérêt purement spéculatif, flou ou contraire à la loi ne saurait être qualifié de légitime. La CNIL rappelle d’ailleurs que certains intérêts ne sont jamais légitimes – par exemple, développer un système d’IA dont l’usage final serait illégal ou sans lien avec l’activité de l’organisme. Elle cite le cas d’une IA de profilage publicitaire ciblant des mineurs, pratique interdite par le règlement européen Digital Services Act : un tel système, illégal par nature, ne peut avoir d’intérêt licite et ne saurait donc être fondé sur l’intérêt légitime.

La nécessité du traitement
Le traitement de données envisagé doit être nécessaire pour atteindre l’objectif d’intérêt légitime poursuivi. Autrement dit, on doit vérifier qu’aucune solution moins intrusive pour la vie privée ne permettrait d’obtenir le même résultat. Cette analyse de nécessité implique pour la PME de se poser les bonnes questions : a-t-on réellement besoin de données personnelles pour entraîner ou améliorer le modèle d’IA ? Peut-on réduire la quantité ou la sensibilité des données sans compromettre le but recherché ? Si le recours à des données personnelles n’est pas indispensable, alors le traitement n’est pas justifié. La CNIL conseille d’examiner ce critère de nécessité en lien étroit avec le principe de minimisation des données : seules les données strictement pertinentes et nécessaires au projet devraient être collectées et traitées. Par exemple, il est recommandé de n’entraîner le modèle qu’avec les données utiles, d’éviter de conserver des données identifiantes lorsqu’on peut les pseudonymiser ou anonymiser, et de privilégier des techniques d’IA moins gourmandes en données personnelles lorsque cela est possible. Cette approche de « sobriété » des données non seulement garantit le respect du RGPD, mais peut aussi réduire les risques en cas de fuite d’informations et améliorer l’efficacité globale du système.

La mise en balance des intérêts et des droits en présence
Enfin, même si l’intérêt est légitime et le traitement nécessaire, il faut s’assurer qu’il ne porte pas une atteinte disproportionnée aux droits et libertés des personnes concernées. C’est ce qu’on appelle la mise en balance (ou test de proportionnalité) entre, d’une part, l’intérêt de la PME (et éventuellement de la société en général) et, d’autre part, l’impact du traitement sur la vie privée et les droits des individus. Concrètement, l’entreprise doit évaluer les bénéfices attendus de son IA et les risques ou inconvénients imposés aux personnes. Plus les bénéfices sont importants pour l’entreprise, le public ou les utilisateurs (par exemple, un progrès majeur en santé, en accessibilité pour les personnes handicapées, en sûreté, etc.), plus cet intérêt aura de poids dans la balance. La CNIL souligne ainsi que le fait d’agir dans l’intérêt collectif ou du public renforce la légitimité de l’intérêt poursuivi. Exemple : un système de reconnaissance vocale permettant de transcrire automatiquement la parole pour aider au remplissage de formulaires administratifs présente des bénéfices significatifs pour l’accessibilité des services publics aux personnes en situation de handicap. L’importance de tels bénéfices pourra être prise en compte dans la balance des intérêts lors de l’évaluation du projet. À l’inverse, il faut identifier tous les impacts négatifs potentiels sur les personnes : atteinte à la vie privée, biais discriminatoires, collecte indue de données sensibles, perte de transparence, etc., et évaluer leur gravité et leur probabilité. Si les risques pour les droits des individus sont trop élevés au regard des bénéfices, alors l’intérêt légitime ne pourra pas s’appliquer seul – il faudra soit renoncer au projet, soit le repenser pour mieux protéger les personnes (par exemple en ajoutant des garanties supplémentaires ou en optant pour le consentement des utilisateurs lorsque c’est réaliste).
En synthèse, pour qu’une PME puisse légitimement invoquer l’intérêt légitime comme base légale de son traitement, son projet d’IA doit satisfaire simultanément ces trois exigences : l’objectif poursuivi doit être licite et légitime, le traitement de données doit être réellement nécessaire pour atteindre cet objectif, et l’impact sur les personnes doit rester proportionné et acceptable au regard des garanties mises en place. Il appartient au responsable de traitement de documenter cette analyse afin de prouver sa conformité. La CNIL recommande en effet de formaliser cette évaluation (par exemple sous la forme d’une analyse écrite appelée « test de mise en balance » ou LIA pour Legitimate Interest Assessment) et, si une Analyse d’Impact relative à la Protection des Données (AIPD ou DPIA) s’avère nécessaire, d’y intégrer toutes les mesures prises pour protéger les personnes.
Transparence et information des personnes concernées
Même lorsque la base légale du traitement est l’intérêt légitime (et non le consentement), le devoir de transparence envers les personnes reste absolu. Le RGPD exige d’informer clairement les individus que leurs données sont collectées et utilisées, en leur fournissant toutes les informations pertinentes (finalité, base légale, données traitées, durée de conservation, droits, etc.). La CNIL insiste pour que cet impératif de transparence soit scrupuleusement respecté, voire renforcé dans le contexte de l’IA où les traitements peuvent être complexes ou inattendus pour le public.
Concrètement, une PME qui développe un système d’IA devra porter à la connaissance des personnes l’existence du projet et son objectif, de manière claire et accessible. L’intérêt poursuivi doit être expliqué de façon précise dans les mentions d’information fournies aux individus. Si l’IA est encore en phase de développement ou d’entraînement, et que son utilisation finale n’est pas totalement déterminée, l’organisme devrait tout de même indiquer la finalité générale du développement (par exemple préciser s’il s’agit d’un objectif de recherche interne, d’un futur service commercial, etc.).
Dans certains cas de collecte indirecte de données (par exemple, si l’entreprise constitue son jeu de données en récupérant des informations disponibles en ligne), la transparence devient un défi supplémentaire. En effet, les personnes dont les données sont aspirées depuis le web ne sont pas toujours conscientes de ce traitement. La CNIL recommande alors des mesures de transparence “accrue”, au-delà des obligations minimales des articles 12 à 14 du RGPD. Cela peut passer par des communications publiques proactives : annonces sur le site web de l’entreprise, campagnes d’information, publication des analyses d’impact ou de la documentation relative au modèle d’IA, etc.. L’organisme peut, par exemple, publier une notice spécifique expliquant son projet d’IA, les sources de données utilisées (y compris si des données en ligne ont été moissonnées), les risques identifiés et les mesures prises pour les limiter. La CNIL encourage même les acteurs de l’IA à des efforts de “vulgarisation” : expliquer aux utilisateurs, en termes compréhensibles, comment fonctionnent leurs systèmes d’IA et quelles conséquences ils peuvent avoir. Cette pédagogie active contribuera à accroître la confiance du public.
Un point particulier concerne la collecte de données sur Internet (web scraping ou moissonnage), souvent utilisée pour rassembler d’importants volumes d’information afin d’entraîner des modèles d’IA. La CNIL rappelle que le fait que des données soient publiquement accessibles en ligne ne signifie pas qu’elles peuvent être librement réutilisées. L’entreprise doit respecter les règles du site source (par exemple, ne pas ignorer un fichier robots.txt ou un mécanisme CAPTCHA qui interdit l’accès automatisé) et tenir compte du contexte de publication. Un contenu posté sur un blog public n’a a priori pas de caractère privé, tandis qu’une publication sur un réseau social protégée par des paramètres de confidentialité garde une dimension privée aux yeux des utilisateurs . Le type de site, la nature de la publication et la volonté exprimée par le site ou l’utilisateur sont des critères essentiels : ne pas en tenir compte pourrait faire échouer la mise en balance des intérêts, car on ne pourrait pas considérer que les personnes s’attendaient raisonnablement à ce que leurs données soient aspirées en masse. En somme, la transparence vis-à-vis des personnes implique aussi de respecter l’esprit dans lequel les données ont été mises en ligne et de s’abstenir de collecter celles dont les auteurs ou les plateformes ont clairement manifesté l’opposition à une réutilisation automatisée.
Minimisation des données et exclusion des données sensibles
Le principe de minimisation des données – l’un des six grands principes du RGPD – est particulièrement crucial dans les projets d’IA. Il consiste à limiter les données personnelles collectées et traitées à ce qui est strictement nécessaire au regard de la finalité poursuivie. Pour les PME développant de l’IA, cela se traduit par une série de bonnes pratiques :

Pseudonymiser rapidement les données
Dès que possible après la collecte, les données identifiantes devraient être remplacées par des identifiants anonymes (pseudonymes), ou les informations permettant d’identifier directement les individus devraient être supprimées. Idéalement, si l’IA peut être développée sur la base de données anonymisées, c’est encore mieux. La CNIL recommande expressément d’appliquer des procédés d’anonymisation ou de pseudonymisation juste après la collecte des données. Par exemple, au lieu de conserver un nom ou une adresse e-mail dans le jeu de données, attribuez un code arbitraire et conservez la table de correspondance séparément et de façon sécurisée – voire ne la conservez pas du tout si vous n’en avez plus besoin. Cela réduira fortement l’impact en cas de fuite et participe à la protection de la vie privée dès la conception.

Limiter la collecte
Ne recueillir que les données réellement utiles pour entraîner le modèle ou fournir la fonctionnalité IA visée. Inutile d’accumuler des informations “au cas où” – toute donnée superflue accroît les risques et la charge de conformité.

Réduire la durée de conservation
Ne pas stocker les données personnelles plus longtemps que nécessaire pour le développement et la validation du modèle. Une fois le modèle d’IA entraîné (et si les données originales ne sont plus utiles), la PME peut envisager de supprimer ou d’archiver ces données sources afin de limiter les risques d’exploitation ultérieure non maîtrisée.

Exclure les données sensibles ou non pertinentes
À moins que le projet ne le requière absolument, il est préférable de ne pas inclure de données sensibles (origine raciale, opinions politiques, santé, données biométriques, etc.) dans la base d’entraînement, ou de les anonymiser autant que possible. La CNIL préconise par exemple, lors de collectes massives en ligne, d’exclure certains types de sites ou de contenus susceptibles de contenir des données sensibles (par exemple des sites médicaux, religieux, ou à caractère hautement personnel). De même, dans l’exemple d’un réseau social qui développe une IA, l’entreprise a intérêt à écarter toutes les données privées (messages privés, informations de compte) et à ne retenir que le contenu public pour entraîner son modèle.
En appliquant strictement la minimisation, l’entreprise démontre la nécessité de chaque donnée utilisée et se place en conformité avec le RGPD. De plus, cela allège les charges liées à la sécurisation et à la gestion des données. Rappelons que si le développement du système d’IA peut se faire sans données personnelles (par exemple avec des données totalement synthétiques ou anonymes), alors le RGPD ne s’applique pas – et c’est souvent la solution la plus simple du point de vue conformité. Bien sûr, dans la pratique, il est souvent difficile de se passer complètement de données personnelles, mais toute diminution de la quantité ou de la sensibilité des données est un gain pour la vie privée.
Garantir la sécurité et la confidentialité des données
La sécurité des données est un pilier fondamental de la protection des données personnelles. Pour une PME développant une IA, cela signifie qu’il faut protéger rigoureusement les données d’entraînement et les données traitées par le système contre tout accès non autorisé, fuite ou détournement. Le RGPD oblige à mettre en place des mesures de sécurité techniques et organisationnelles adaptées aux risques (chiffrement, contrôle d’accès, journalisation des accès, tests d’intrusion, etc.).
Dans le contexte de l’IA, plusieurs risques spécifiques doivent retenir l’attention des PME : le vol de la base de données d’apprentissage (qui pourrait exposer des données personnelles si elle était divulguée), les attaques ciblant le modèle lui-même pour en extraire des informations sur les données d’entraînement (attaques par inversion ou “model extraction”), ou encore la possibilité que le modèle mémorise et restitue des données sensibles lors de son utilisation. La CNIL mentionne notamment les risques de perte de confidentialité et de violation de données si la sécurité de la base d’apprentissage n’est pas suffisante, ainsi que les attaques propres aux systèmes d’IA (empoisonnement du modèle, insertion de backdoor, etc.). Une PME doit donc anticiper ces menaces dès la phase de développement : par exemple, en chiffrant les données stockées, en cloisonnant les environnements d’entraînement, en contrôlant strictement qui peut accéder aux données brutes comme au modèle, et en surveillant les anomalies pouvant indiquer une fuite.
Par ailleurs, l’intégration de mesures de sécurité doit aller de pair avec la minimisation évoquée plus haut : moins on collecte de données personnelles et plus on les pseudonymise, moins les conséquences d’une brèche seront graves. L’anonymisation est une forme extrême de sécurité, puisque des données véritablement anonymes échappent au champ du RGPD et ne présentent plus de risque pour la vie privée.
Enfin, la confidentialité du résultat doit aussi être pensée : si le système d’IA est amené à produire du contenu (par exemple un modèle génératif), il convient de prévenir les “fuites” éventuelles de données personnelles dans les sorties du modèle. Des mécanismes peuvent être prévus pour détecter et empêcher qu’une IA régurgite des informations sensibles éventuellement apprises. L’entreprise devrait tester son IA pour s’assurer qu’elle ne restitue pas d’exemples issus des données d’entraînement (par exemple, qu’un chatbot n’énonce pas des adresses ou des noms issus de sa base). Ces précautions techniques complètent les obligations légales et démontrent une approche responsable et éthique de l’IA.
Assurer le respect des droits des personnes (dont le droit d’opposition)
Lorsque le traitement est fondé sur l’intérêt légitime, les personnes concernées disposent d’un droit d’opposition : elles peuvent, à tout moment, s’opposer à ce que leurs données soient utilisées pour ce traitement, sauf motif impérieux justifiant de passer outre (motif qui, en pratique, est difficile à invoquer hors cas très particuliers). Pour les PME, cela implique deux choses : informer les personnes de leur droit d’opposition et mettre en place un mécanisme efficace pour le leur permettre facilement.
Chaque fois que cela est pertinent, l’entreprise doit expliquer dans sa politique de confidentialité ou ses communications que les individus peuvent s’opposer au traitement de leurs données pour le développement ou l’utilisation du système d’IA. Et cette opposition doit pouvoir s’exercer sans obstacles, par un moyen simple (un clic, un formulaire, un email dédié, etc.), avant même que le traitement n’ait lieu si possible. La CNIL encourage la mise en place de dispositifs d’opposition “préventifs” et discrétionnaires, c’est-à-dire ne nécessitant pas de justification de la part de la personne . Par exemple, dans le cas d’un réseau social qui entraîne un agent conversationnel sur les messages publiés par les utilisateurs, la CNIL suggère de proposer aux membres une option pour exclure leurs contenus du jeu de données d’entraînement – idéalement via un simple paramètre ou un formulaire en ligne – et de faire connaître cette option de manière visible (par exemple, un encart explicatif en page d’accueil du site renvoyant directement vers la page d’opposition). Une telle mesure garantit que l’utilisateur garde la maîtrise de ses données s’il le souhaite, tout en permettant à l’entreprise de continuer le développement de son IA avec les données des autres utilisateurs.
Outre le droit d’opposition, tous les autres droits RGPD des personnes doivent rester garantis : droit d’accès (savoir quelles données ont été utilisées, dans la mesure où cela n’affecte pas les secrets commerciaux ou la sécurité du système), droit de rectification des données erronées, droit à l’effacement (demander le retrait de ses données du jeu d’entraînement, si possible), et limitation du traitement le temps qu’une objection ou une demande soit examinée. Ces droits peuvent être complexes à mettre en œuvre dans le contexte de l’IA (par exemple, retirer les données d’une personne d’un modèle déjà entraîné n’est pas trivial techniquement), mais la PME doit y réfléchir en amont. Prévoir des procédures internes pour traiter les demandes est indispensable : qui sera en charge de répondre si un utilisateur demande “mes données figurent-elles dans votre base d’entraînement ?”, comment supprimer ces données le cas échéant, etc. Si la ré-identification des individus dans le dataset est difficile (du fait de la pseudonymisation), l’entreprise doit au moins être en mesure de dire quelles catégories de données elle a utilisées et donner aux personnes des informations sur le traitement. En cas d’impossibilité technique de satisfaire pleinement un droit, il faudra justifier cette impossibilité et chercher des solutions compensatoires (par exemple, offrir une possibilité d’opt-out global si on ne peut pas isoler une personne donnée).
Transparence et droits des personnes vont de pair : informer clairement, c’est aussi faciliter l’exercice des droits. Une PME respectueuse du RGPD veillera à communiquer de façon didactique sur ces sujets, par exemple via une FAQ ou un support client formé aux questions de données personnelles. Cette démarche contribue à instaurer une relation de confiance avec les clients ou utilisateurs, qui se sentiront respectés et écoutés.
Quels risques pour les PME en cas de non-conformité ?
Le non-respect des principes précédemment décrits expose les PME à des risques importants, tant sur le plan légal que sur le plan commercial et réputationnel.
D’un point de vue juridique, la CNIL (ou les autres autorités de protection des données en Europe) dispose d’un pouvoir de contrôle et de sanction. En cas de manquement avéré au RGPD, une PME risque des amendes administratives pouvant atteindre jusqu’à 20 millions d’euros ou 4 % du chiffre d’affaires mondial, selon la gravité des infractions. Ces dernières années, les autorités de protection des données n’ont pas hésité à sanctionner des usages abusifs de données dans des systèmes automatisés ou des IA. Par exemple, des services en ligne se sont déjà fait épingler pour avoir aspiré massivement des données sans base légale valable ni information adéquate – dans certains cas, cela a conduit à l’interdiction temporaire d’un service ou à l’obligation de purger des jeux de données entiers. Pour une PME, une telle issue pourrait être fatale ou, à tout le moins, lourdement pénaliser son activité.
Au-delà des amendes, il y a le risque d’injonctions correctives : la CNIL peut ordonner la suspension d’un traitement illégal, la suppression de données collectées illégalement, ou encore exiger la mise en conformité sous astreinte. Imaginez qu’un algorithme clé de votre service doive être arrêté ou refait de zéro suite à une injonction : c’est un retard considérable et un gaspillage d’investissements qui peuvent lourdement impacter la compétitivité de l’entreprise.
Sur le plan réputationnel, une violation du RGPD peut gravement entamer la confiance des clients, partenaires et du public. Les médias se font souvent l’écho des sanctions ou mises en demeure notifiées par la CNIL. Pour une PME, être associée à une affaire de non-respect de la vie privée peut ternir son image de marque, là où au contraire une entreprise exemplaire en matière de protection des données peut en faire un atout commercial. Les consommateurs et clients professionnels sont de plus en plus sensibles à l’éthique des pratiques numériques : ils pourraient se détourner d’un produit d’IA jugé intrusif ou non conforme.
Par ailleurs, ignorer les principes de minimisation, de transparence ou de sécurité, c’est prendre le risque de problèmes concrets : une collecte excessive de données sans bon encadrement peut mener à des fuites de données spectaculaires (et donc à la perte de confiance des utilisateurs), ou à des biais dans le système d’IA qui seront ensuite dénoncés (par exemple un algorithme accusé de discriminer certains publics parce que les données n’avaient pas été correctement filtrées ou équilibrées). On voit donc que conformité et qualité du produit sont liées : une IA développée sans respect des règles sera non seulement illégale, mais souvent moins fiable et plus risquée dans ses résultats.
Enfin, on peut mentionner le contexte réglementaire européen en évolution : un Règlement européen sur l’IA (IA Act) est en cours d’adoption et pourrait ajouter des exigences supplémentaires (notamment pour les systèmes d’IA “à haut risque”). Ne pas anticiper la conformité RGPD dès maintenant, c’est prendre du retard et s’exposer à davantage de difficultés lorsque d’autres obligations entreront en vigueur. À l’inverse, une PME qui intègre d’ores et déjà les bonnes pratiques de la CNIL se positionne favorablement pour respecter ces futures régulations.
Conseils concrets pour une IA conforme au RGPD en PME
Pour aider les dirigeants de PME à passer de la théorie à la pratique, voici une liste de conseils concrets issus des recommandations de la CNIL et des bonnes pratiques de conformité, applicables lors de l’intégration de solutions d’IA ou d’automatisation :
1
Identifier les données personnelles en jeu : Commencez par cartographier les données que votre projet d’IA va utiliser. S’agit-il de données clients, de données publiques en ligne, de données de tiers ? Y a-t-il des données sensibles ? Sans cette visibilité, difficile de savoir quelles obligations s’appliquent. Si possible, segmentez et isolez les données personnelles dès le départ, et envisagez des alternatives (données synthétiques, etc.) si réalisables.
2
Choisir la base légale appropriée : Déterminez la base juridique du traitement. Posez-vous la question du consentement : est-il envisageable de le recueillir de façon valable pour ces données ? Si non (par exemple collecte à grande échelle sur Internet, ou données non directement collectées auprès des personnes), l’intérêt légitime peut être considéré. Vérifiez alors que votre intérêt est licite et aligné avec vos missions. N’oubliez pas que pour certains traitements, d’autres bases légales pourraient convenir mieux (contrat, obligation légale, mission d’intérêt public, etc.), selon la nature de vos activités.
3
Réaliser un test de mise en balance (LIA) : Si vous optez pour l’intérêt légitime, menez une analyse documentée des trois conditions. Définissez précisément votre intérêt, justifiez la nécessité du traitement (pourquoi vous ne pouvez pas atteindre l’objectif autrement), et listez les risques pour les personnes ainsi que les mesures pour les atténuer. Soyez objectif et rigoureux : si l’analyse révèle des risques majeurs sans solutions, envisagez de modifier le projet. Documentez tout ce processus, car c’est votre preuve en cas de contrôle.
4
Vérifier la nécessité de conduire une AIPD (DPIA) : Les projets d’IA sont souvent susceptibles d’engendrer un risque élevé pour les droits et libertés (profilage, surveillance, traitement de masse, etc.), ce qui rend l’analyse d’impact obligatoire. La CNIL propose des critères pour savoir si une AIPD est requise. Si c’est le cas, intégrez-y votre analyse de mise en balance et détaillez toutes les mesures de sécurité et de protection que vous mettrez en place. L’AIPD est non seulement une obligation légale dans certains cas, mais aussi un excellent outil de pilotage des risques.
5
Adopter le réflexe “Privacy by Design” : Dès la phase de conception du système d’IA, incorporez les principes de protection des données. Par exemple, configurez par défaut l’application pour qu’elle n’enregistre pas plus de données qu’elle ne doit, intégrez des modules de floutage/anonymisation si vous traitez des images, prévoyez des options pour que les utilisateurs contrôlent leurs données. Chaque nouvelle fonctionnalité d’IA devrait être passée au crible des questions : “Quel impact sur les données personnelles ? Comment minimiser cet impact ?”..
6
Encadrer les collectes de données : Si vous collectez des données en ligne (web scraping) ou via un prestataire, établissez des règles claires. Respectez les conditions d’utilisation des sites sources, ciblez des sources fiables et évitez celles qui posent problème (par ex. sites contenant majoritairement des données sensibles ou protégées). Informez-vous sur les initiatives comme les fichiers robots.txt ou TDMrep (texte d’exclusion de moissonnage) qui signalent les préférences des sites. Si vous passez par un fournisseur de données ou un outil tiers, formalisez un contrat incluant des clauses de protection des données (accord de traitement, garanties que les données ont été collectées légalement, etc.).
7
Informer et communiquer : Mettez à jour votre politique de confidentialité pour inclure le traitement lié à l’IA. Expliquez-y votre objectif, la base légale (intérêt légitime), les catégories de données utilisées, la source des données (notamment si vous collectez indirectement sur le web), et les droits des personnes. Songez à des moyens supplémentaires d’information : un article sur votre blog d’entreprise, une FAQ dédiée à votre projet d’IA, un encart lors de l’inscription des utilisateurs, etc. Plus vous serez transparents et pédagogues, moins vous susciterez de méfiance ou d’incompréhension.
8
Mettre en place le droit d’opposition (opt-out) : Si possible, donnez aux personnes la possibilité de s’exclure du traitement avant même qu’il ne commence. Par exemple, envoyez une communication à vos clients ou utilisateurs actuels pour leur signaler le lancement d’un nouvel outil d’IA et offrez-leur la possibilité de refuser que leurs données y contribuent. Si vous ne pouvez pas contacter directement les personnes (cas de données publiques collectées en ligne), envisagez de publier sur votre site un formulaire d’opposition accessible à tous. Et bien sûr, si quelqu’un exerce son droit d’opposition, faites en sorte de retirer effectivement ses données du processus (ou de les marquer pour qu’elles ne soient pas prises en compte lors de l’entraînement du modèle).
9
Former vos équipes et nommer des référents : Assurez-vous que vos collaborateurs impliqués dans le projet (développeurs, data scientists, chefs de produit) connaissent les principes de protection des données. Sensibilisez-les aux enjeux éthiques de l’IA (biais, transparence, etc.). Il peut être utile de nommer un référent “IA responsable” en interne, ou de s’appuyer sur le Délégué à la Protection des Données (DPO) s’il y en a un, pour superviser la conformité du projet. Dans certains cas, la mise en place d’un comité éthique peut être envisagée, mais pour une PME il s’agira souvent d’une personne ou d’une petite équipe pilote chargée de s’assurer qu’à chaque étape, on n’oublie pas la question “et les données personnelles ?”.
IA éthique et conforme : un atout de compétitivité pour les PME
Contraindre les innovations en IA par des considérations juridiques peut sembler, à première vue, freiner la compétitivité. Or, c’est tout le contraire : développer une IA de manière éthique et conforme au RGPD constitue un véritable avantage compétitif pour les PME. Voici pourquoi :
- Confiance accrue de la clientèle : Dans un contexte où les utilisateurs sont de plus en plus soucieux du respect de leur vie privée, proposer des solutions d’IA “privacy-friendly” est un argument de vente. Une PME qui peut afficher clairement à ses clients qu’elle respecte les recommandations de la CNIL, qu’elle minimise les données et garantit les droits, marquera des points en termes d’image. La confiance est un facteur de fidélisation essentiel : un client confiant est plus enclin à adopter une nouvelle technologie et à la recommander. Le RGPD, bien appliqué, devient ainsi un label de qualité et de sérieux. La CNIL souligne d’ailleurs que la conformité alimente la confiance du public, ce qui in fine favorise l’adoption des services innovants.
- Réduction des risques financiers et juridiques : En investissant dès le départ dans la conformité, la PME s’épargne le risque de lourdes sanctions ou de coûts cachés ultérieurs (procédures juridiques, remaniement du produit, dédommagements en cas de litige, etc.). Cet argent et ce temps économisés pourront être consacrés à l’innovation et au développement de l’activité plutôt qu’à éteindre des incendies. À l’inverse, une violation du RGPD peut coûter extrêmement cher, non seulement en amende mais aussi en perturbation opérationnelle. En évitant ces écueils, l’entreprise conserve ses ressources pour grandir.
- Meilleure qualité de l’IA et innovation durable : Les principes d’IA responsable (transparence, absence de biais discriminants, sécurité) rejoignent souvent les critères d’une IA performante et fiable. Par exemple, en nettoyant les données et en éliminant les informations non pertinentes, on obtient souvent un modèle plus efficace. En assurant la transparence, on facilite la compréhension et l’audit du système, ce qui peut mener à de précieuses améliorations. De plus, une IA conçue dans le respect des droits aura moins de risques d’être un jour contestée ou interdite, ce qui garantit la pérennité de l’investissement. L’éthique et la compétitivité se renforcent mutuellement : une IA digne de confiance sera adoptée plus largement et sur le long terme.
- Opportunités commerciales et accès à certains marchés : Avoir des pratiques exemplaires en matière de protection des données peut ouvrir des portes. Certaines grandes entreprises ou administrations, sensibles à la conformité, préfèreront collaborer avec des partenaires irréprochables sur ce point. De même, anticiper les réglementations à venir (telles que le Règlement IA européen) vous place en position de pionnier plutôt que de suiveur, et vous donne une longueur d’avance sur des concurrents moins préparés. Vous pourrez mettre sur le marché des produits “RGPD-ready” ou “AI Act-ready” là où d’autres devront peut-être retarder leurs lancements pour se mettre en conformité.
En somme, intégrer dès aujourd’hui les recommandations de la CNIL sur l’intérêt légitime et le RGPD dans vos projets d’IA n’est pas qu’une obligation légale : c’est un investissement stratégique. Cela réduit les risques, améliore la confiance des utilisateurs, et crée un cadre propice à une innovation responsable et durable.
Conclusion
Le développement de l’intelligence artificielle offre des opportunités immenses aux PME, que ce soit pour optimiser leurs processus, mieux servir leurs clients ou créer de nouveaux produits. Toutefois, ces opportunités ne pourront se concrétiser que si les entreprises savent naviguer dans le cadre réglementaire qui entoure les données personnelles. Les recommandations publiées par la CNIL en 2025 sur le recours à l’intérêt légitime comme base légale de traitements d’IA fournissent une feuille de route précieuse : elles montrent qu’il est possible de concilier innovation technologique et respect des droits fondamentaux.
En suivant ces principes – analyse de nécessité, mise en balance équitable, transparence renforcée, minimisation des données, sécurité et respect des droits – les dirigeants de PME pourront intégrer l’IA en toute confiance dans leurs activités. Ils éviteront les écueils juridiques et éthiques, et transformeront la contrainte réglementaire en avantage concurrentiel. Finalement, une IA éthique et conforme n’est pas un fardeau, mais bien le socle d’une innovation de confiance, capable de gagner l’adhésion des utilisateurs et de s’inscrire durablement sur le marché. Les PME ont tout à gagner à adopter ces bonnes pratiques dès maintenant, afin de bâtir l’avenir de l’intelligence artificielle sur des bases solides, responsables et génératrices de valeur pour tous.