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Souveraineté numérique : le Danemark dit adieu à Microsoft pour Linux et LibreOffice

16 juin 2025 par
Souveraineté numérique : le Danemark dit adieu à Microsoft pour Linux et LibreOffice
Olivier DUPRE

Le gouvernement danois a pris une décision retentissante : tourner le dos aux logiciels Microsoft au profit de solutions open source. Caroline Stage, la ministre de la Numérisation, a annoncé que son ministère allait remplacer Windows et la suite Office 365 par le système d’exploitation Linux et la suite bureautique LibreOffice. Ce divorce avec Microsoft n’est pas motivé par des considérations techniques ou une lubie passagère, mais bien par un impératif politique : retrouver une « souveraineté numérique » dans un contexte où l’Europe s’inquiète de sa dépendance aux géants technologiques étrangers. Cette stratégie audacieuse vise à réduire la dépendance danoise vis-à-vis des fournisseurs américains et à reprendre le contrôle de son infrastructure numérique – quitte à lancer un pavé dans la mare des Big Tech.

L’initiative danoise ne sort pas de nulle part. Elle s’inscrit dans une prise de conscience générale au sein de l’Union européenne. Le terme souveraineté numérique est sur toutes les lèvres des responsables européens, désignant la volonté de maîtriser les outils, données et infrastructures numériques essentielles. « Une combinaison d’impératifs de sécurité, d’ordre économique, politique et sociétal pousse l’UE à rechercher cette souveraineté numérique : les dirigeants veulent réduire la dépendance de l’Europe aux fournisseurs technologiques étrangers, principalement américains, et contrôler davantage les infrastructures et données, surtout pour éviter qu’un acteur extérieur ne puisse couper l’accès à des services essentiels en période de tensions géopolitiques. » En clair, qui contrôle les données et les logiciels contrôle en partie le destin numérique d’un pays. Le Danemark, l’un des pays les plus numérisés au monde, a estimé qu’il était temps de reprendre les rênes : « Le Danemark est complètement dépendant des entreprises tech américaines, et ce n’est clairement pas tenable », souligne Jan Damsgaard, professeur en digitalisation à la Copenhagen Business School.

Des facteurs géopolitiques déclencheurs : du Groenland à l’affaire de la CPI

Si cette décision intervient maintenant, c’est aussi en réaction à des pressions géopolitiques américaines récentes qui ont servi d’électrochoc en Europe. Plusieurs événements ont fait réaliser aux Européens les risques stratégiques d’une dépendance aux technologies US :

  • La tentative d’achat du Groenland par les États-Unis : En 2019, le président Donald Trump avait publiquement exprimé son désir de racheter le Groenland, un territoire autonome danois. Cette initiative hors normes a provoqué la stupeur et l’indignation à Copenhague. Désormais de retour à la Maison-Blanche, Donald Trump persiste et évoque à nouveau l’idée de « prendre le contrôle » du Groenland, ce qui a tendu les relations américano-danoises. Pour le Danemark, cette ingérence dans ses affaires territoriales a été un rappel brutal que ses intérêts stratégiques pouvaient diverger de ceux de Washington. L’outrage causé par la proposition de Trump est immense, et il alimente une détermination accrue à réduire la dépendance du pays vis-à-vis des entreprises américaines.
  • Les sanctions américaines contre la Cour Pénale Internationale (CPI) : En février 2025, les États-Unis ont imposé des sanctions contre les membres de la CPI après que celle-ci a lancé des enquêtes visant d’importantes personnalités politiques israéliennes. Conséquence immédiate : Microsoft, entreprise américaine, a coupé les services de messagerie du procureur en chef de la CPI, Karim Khan, dont la boîte email professionnelle était hébergée sur Office 365. Cette représaille numérique sans précédent, menée en exécution des sanctions US, a fait l’effet d’un choc en Europe. « La déconnexion du procureur Khan – un simple clic de souris – a retenti dans le monde entier, offrant un aperçu glaçant du pouvoir des fournisseurs technologiques américains d’exécuter la volonté du gouvernement des États-Unis(source : computerweekly.com). » Brad Smith, président de Microsoft, venait tout juste d’assurer les Européens du sens des responsabilités de son entreprise face aux “volatilités géopolitiques” et promettait de défendre les intérêts européens contre d’éventuelles pressions de Washington. Or, l’affaire de la CPI a montré le contraire : quelle que soit sa bonne volonté, une multinationale comme Microsoft reste soumise au droit américain et peut être contrainte de suspendre unilatéralement des services critiques à la demande de Washington. Pour de nombreux dirigeants européens, cet épisode a été la goutte d’eau de trop : si la messagerie d’une institution internationale basée aux Pays-Bas peut être coupée du jour au lendemain, qu’en serait-il des services gouvernementaux d’un État européen en cas de brouille avec les États-Unis ?

Ces deux exemples – l’affaire du Groenland et le blocage de la CPI – ont servi d’avertissement. « Les tensions géopolitiques, la réélection de Donald Trump et des incidents comme celui impliquant la Cour pénale internationale ont servi d’avertissement. La peur de voir des services essentiels coupés sur décision politique est bien réelle. » De fait, au Danemark comme ailleurs en Europe, le débat sur la protection des données et la maîtrise des infrastructures numériques s’est intensifié. La souveraineté numérique n’apparaît plus comme un concept abstrait, mais comme une nécessité stratégique pour prévenir une ingérence étrangère dans les affaires européennes via le levier technologique.

Pourquoi le Danemark abandonne Microsoft : coûts, monopole et loyauté incertaine

Au-delà du contexte géopolitique, plusieurs raisons concrètes ont poussé le Danemark à enclencher ce divorce technologique avec Microsoft :

Limiter un monopole coûteux :

La dépendance à un fournisseur unique pose un problème financier. Au Danemark, la facture des logiciels Microsoft a explosé ces dernières années. Pour la seule municipalité de Copenhague, la note annuelle est passée de 313 millions de couronnes en 2018 à 538 millions en 2023 – environ +72 % en cinq ans. Un tel renchérissement pèse sur les budgets publics. David Heinemeier Hansson, entrepreneur danois et créateur de Ruby on Rails, note qu’au fil du temps « Microsoft est devenu de loin la plus grande dépendance [numérique] du pays (source : linux.slashdot.org)  ». En misant sur des alternatives libres (libres de droits), le gouvernement espère non seulement gagner en indépendance, mais aussi maîtriser ses dépenses informatiques sur le long terme.

Échapper aux lois extraterritoriales américaines : 

Continuer d’utiliser des solutions cloud ou logicielles d’entreprises américaines, c’est accepter que les lois US s’appliquent de facto aux données européennes. Le Cloud Act américain (2018) et la loi FISA (Foreign Intelligence Surveillance Act) autorisent les autorités des États-Unis à exiger d’un fournisseur américain l’accès à des données, y compris si ces données sont hébergées en Europe. Ce n’est pas un risque théorique, c’est une réalité juridique – mise en lumière par l’affaire de la CPI. En adoptant LibreOffice, en remplaçant Outlook/Exchange par des solutions open source et en privilégiant peut-être à terme des clouds européens, le Danemark cherche à soustraire ses données sensibles à la juridiction américaine. Comme l’a souligné un responsable français du CNLL, maintenir le secteur public sous Office 365 ou Azure crée « une dépendance technologique excessive et dangereuse à un acteur américain, au mépris des solutions européennes » disponibles. Ce discours trouve un écho tout particulier au Danemark depuis les révélations selon lesquelles Washington aurait intensifié ses activités d’espionnage au Groenland et au Danemark – « les amis ne se surveillent pas entre eux », avait cinglé le ministre danois des Affaires étrangères en convoquant l’ambassadrice américaine. En somme, pour le Danemark, reprendre le contrôle de ses outils numériques, c’est aussi reprendre le contrôle de ses données et de sa sécurité..

Diversifier pour mieux négocier : 

Face à un quasi-monopole, un client captif a peu de poids. La stratégie danoise peut être lue non seulement comme une rupture idéologique, mais aussi comme une manœuvre de négociation. En démontrant qu’il est prêt à migrer vers Linux/LibreOffice, le gouvernement danois se donne plus de leviers pour exiger de meilleures conditions commerciales ou techniques à Microsoft dans le futur. « Les gouvernements sont des animaux grégaires : quand l’un change de direction, les autres suivent, et un léger filet de départs peut vite devenir un flot. » Microsoft sait qu’une perte de confiance du secteur public européen pourrait lui coûter cher (25 % de ses revenus mondiaux proviennent de l’Europe) et qu’une fois amorcés, certains retours en arrière sont difficiles. Le juste au cas où (plan B) des gouvernements peut rapidement se transformer en un plan A assumé. En somme, le Danemark indique à Microsoft que la fidélité de ses clients européens n’est pas acquise d’avance – un signal qui pourrait forcer l’éditeur à revoir sa copie (tarifs, conditions d’utilisation, garanties de localisation des données, etc.) pour éviter un effet domino en Europe.

Anticiper la fin de Windows 10

Un facteur plus technique s’ajoute opportunément au calendrier. Microsoft mettra fin au support de Windows 10 en octobre 2025. Or, des centaines de millions de PC dans le monde tournent encore sous Windows 10 et ne pourront pas tous migrer vers Windows 11 (exigences matérielles obligent). Au Danemark, comme ailleurs, cela signifie soit investir massivement dans de nouveaux équipements et licences, soit trouver des alternatives. La ministre Caroline Stage voit aussi dans le passage à Linux un moyen de prolonger la vie du parc informatique à moindre coût. Cette transition est ainsi « un coup d’essai pour répondre à l’abandon par Microsoft de centaines de millions de PC bloqués sous Windows 10 » une fois le support terminé. La France est directement concernée par cet enjeu : un rapport a révélé que dans notre seul ministère de l’Intérieur, la fin de Windows 10 en 2025 rendrait obsolètes près de 18 746 ordinateurs sur un parc de 94 720 machines, posant la question du coût de renouvellement. Le choix danois offre un scénario alternatif : et si, au lieu d’acheter des dizaines de milliers de licences Windows 11 et de nouveaux PC, on optait pour une distribution Linux légère capable de faire tourner les machines existantes ? Le gain budgétaire potentiel est considérable.


Le Danemark invoque des raisons économiques (coûts et monopole), politiques (souveraineté et risques de coupure) et pragmatiques (pérennité du parc informatique) pour justifier son divorce avec Microsoft. « Nous sommes bien trop dépendants de quelques fournisseurs », a rappelé Caroline Stage en précisant que son initiative ne vise pas Microsoft en particulier mais un écosystème dominé par trop peu d’acteurs. Cette prise de conscience rejoint celle d’autres pays européens qui, ces dernières années, ont cherché à réduire leur dépendance logicielle. L’Allemagne, par exemple, a encouragé l’adoption de solutions open source dans l’administration : la région Schleswig-Holstein a lancé un vaste plan de migration vers LibreOffice et Linux d’ici 2026, et plusieurs villes (Munich jadis, aujourd’hui Hambourg ou Dortmund) expérimentent des postes de travail Linux. De même, en France, la Gendarmerie nationale utilise depuis plus d’une décennie un système Linux maison (“GendBuntu”) sur des milliers de postes, avec à la clé 40 % d’économies sur ses coûts informatiques selon un bilan de 2013. Ces exemples ont pu inspirer le Danemark. Mais l’initiative danoise, par son ampleur (portée ministérielle nationale) et son cadrage géopolitique explicite, va plus loin : c’est une décision éminemment politique, qui illustre comment la technologie devient le prolongement des enjeux de souveraineté à l’ère du numérique.

Comment le Danemark organise sa migration vers l’open source

Sur le plan pratique, la transition danoise est en bonne voie et se veut méthodique. Dès cet été 2025, la moitié des agents du ministère de la Numérisation basculeront sur Linux et LibreOffice en environnement de production. Cette phase pilote permettra de tester la compatibilité des documents, la prise en main par les utilisateurs, la gestion des outils métiers, etc. Si l’expérience est concluante, l’ensemble du ministère pourrait être “Microsoft-free” d’ici l’automne 2025. Caroline Stage reste toutefois pragmatique : « Si la transition s’avère trop compliquée, nous pourrons revenir à Microsoft en un instant », a-t-elle expliqué, assumant le droit à l’erreur. Autrement dit, il ne s’agit pas de risquer une paralysie des services publics : la priorité est de “tester les limites de la dépendance”, sans exclure un repli temporaire si nécessaire. « Nous n’avancerons jamais si nous n’essayons pas », a-t-elle résumé en substance.

Le ministère de la Numérisation n’est pas seul dans cette aventure. Les collectivités locales danoises étaient même en avance sur l’État central. Quelques jours avant l’annonce de Caroline Stage, les deux plus grandes municipalités du pays – Copenhague et Aarhus – avaient déjà acté de réduire drastiquement leur recours à Microsoft. La capitale a annoncé un audit général de l’usage des logiciels Microsoft dans son administration, tandis qu’Aarhus, deuxième ville du pays, commençait à remplacer progressivement les services Microsoft par des solutions ouvertes. La ministre Stage a d’ailleurs insisté sur la nécessité de « coordonner les efforts : ce n’est pas une course entre nous, toutes les municipalités doivent travailler ensemble et renforcer l’open source ». L’initiative prend donc la forme d’un mouvement collectif au Danemark, associant le niveau national et local autour d’une nouvelle stratégie de digitalisation axée sur la souveraineté.

Dans l’opposition danoise, la démarche reçoit un accueil favorable, signe qu’il existe un consensus sur ces enjeux de dépendance. Même son de cloche du côté des experts et du monde académique : " Je trouve très positif que le ministère de la Numérisation fasse partie de ceux qui essayent ces systèmes open source », déclare Jan Damsgaard, tout en notant que le Danemark, pays hyper-digitalisé, est aussi l’un des plus dépendants de Microsoft – cela fait sens de commencer par là pour reconquérir une marge de manœuvre "

Naturellement, la route ne sera pas sans obstacles. Changer des habitudes prises depuis des décennies au sein de l’administration est un défi colossal. De nombreux agents publics ont toujours travaillé sous Windows/Office ; il faudra les former aux équivalents libres (LibreOffice pour les documents, Thunderbird ou d’autres solutions pour le courriel, etc.). Certains logiciels métiers spécialisés, conçus pour l’environnement Microsoft (macros Excel, bases Access, formulaires Word, applications intranet sous SharePoint…), devront être progressivement remplacés ou adaptés – un chantier qui peut prendre des années. « Personne n’imagine que la transition sera facile », reconnaissent les responsables danois, « certains jugent même impossible de se passer complètement de l’écosystème Microsoft (source : generation-nt.com. ) » La réussite du projet dépendra de l’accompagnement des utilisateurs et du renforcement des compétences internes en open source. « Pour tirer profit de LibreOffice, il faut faire partie de la communauté. Sinon on ne comprendra pas ce qui se passe(source : thelocal.dk) », prévient Jan Damsgaard, soulignant qu’adopter un logiciel libre ne signifie pas qu’il fonctionnera tout seul par magie. Il faudra peut-être recruter ou former des développeurs capables de personnaliser ou d’étendre ces outils libres, pour les adapter aux besoins spécifiques de l’administration. Bref, il s’agit d’un investissement sur le long terme.

Signalons que la Document Foundation, l’organisation à but non lucratif basée à Berlin qui développe LibreOffice, s’est montrée très attentive à l’initiative danoise. LibreOffice, né du mouvement open source (fork d’OpenOffice.org en 2010), est régulièrement adopté par des institutions publiques dans le monde, mais jamais à une aussi grande échelle nationale récemment. La fondation a rappelé être prête à soutenir techniquement de tels projets de migration, et voit dans le cas danois une validation de sa mission : « LibreOffice est un choix stratégique pour qui veut reprendre le contrôle de ses outils bureautiques », a-t-elle communiqué en substance, encourageant d’autres à suivre cet exemple.

Un modèle pour la France et l’Europe ?

La décision danoise, aussi ambitieuse soit-elle, pourrait faire tache d’huile si elle réussit – ou servir d’électrochoc politique dans le cas contraire. La France et les autres membres de l’UE observent attentivement cette expérience de souveraineté numérique grandeur nature. D’ores et déjà, on peut y voir un modèle à suivre pour les pays souhaitant se libérer du joug des GAFAM, mais aussi un avertissement quant aux risques de l’inaction.

En France, le discours sur la souveraineté numérique a pris de l’ampleur ces dernières années, sans toujours être suivi d’effets. Certes, l’État a posé des principes (la priorité au logiciel libre inscrite dans la loi depuis 2016 pour le service public, par exemple) et mené quelques projets pilotes. Mais dans les faits, les administrations françaises restent largement liées à Microsoft : Windows équipe l’écrasante majorité des postes, la suite Office (ou Office 365) demeure la norme bureautique, et les solutions cloud américaines (Azure, AWS, Google) hébergent bien des données publiques. Le contraste avec le Danemark est saisissant. Alors que Copenhague enclenche son divorce, Paris a récemment renouvelé des contrats avec Microsoft. En juin 2023, un marché public géant a été attribué pour équiper ministères et universités en solutions Microsoft 365 sur 4 ans, provoquant l’ire du secteur du libre. Le CNLL (Union des entreprises du logiciel libre) a dénoncé « une dépendance technologique déjà excessive et dangereuse à un acteur américain, au mépris des solutions open source européennes », ainsi qu’un manque de mise en concurrence. Des voix s’élèvent aussi au Parlement : le député Philippe Latombe, très engagé sur ces sujets, a multiplié les questions au gouvernement et rappelé que la DINUM (Direction du numérique de l’État) avait en théorie interdit Office 365 dans les administrations dès 2021 – une directive largement ignorée jusqu’ici.

L’exemple danois arrive donc à point nommé pour interpeller la France. D’une part, il démontre qu’un État de taille moyenne peut oser s’affranchir des géants américains, même dans ses fonctions critiques. D’autre part, il met la France face à ses contradictions : comment clamer l’« Europe puissance numérique » et la « souveraineté » dans les discours, tout en reconduisant de facto le statu quo avec les fournisseurs US ? « Le Danemark fait le choix de la souveraineté numérique... Quid de la France, qui persiste dans son esclavage numérique ? » s’insurge un expert en intelligence économique, rappelant que le ministère français de l’Intérieur paye chaque année plus de 7 millions d’euros à Microsoft et se retrouve pieds et poings liés à l’éditeur, au point d’être en difficulté avec l’arrêt de Windows 10.

Si le pari danois réussit, il pourra servir de déclic. Bruxelles, en particulier, pourrait pousser à une coordination européenne pour développer des alternatives viables. On imagine mal tous les pays migrer en même temps vers Linux, mais l’UE pourrait par exemple renforcer le soutien aux suites bureautiques libres, imposer des standards ouverts (format OpenDocument, déjà encouragé) ou promouvoir un environnement de travail européen (certains évoquent l’idée d’une distribution Linux “européenne” préconfigurée pour les administrations). À minima, le cas danois pourrait encourager chaque pays à élaborer un plan B pour ne pas dépendre à 100 % d’un acteur non européen. En 2020, le ministère allemand de l’Intérieur avait diffusé en interne un mémo appelant à réduire les parts de marché de Microsoft, jugeant la situation actuelle « inacceptable » et évoquant même la possibilité d’un boycott si aucune solution européenne ou open source n’émergeait. La France, de son côté, a lancé en 2021 l’initiative “Cloud de confiance” (ou “Cloud souverain”) pour héberger les données sensibles : ironie du sort, l’une des premières offres labellisées n’était autre qu’Azure (Microsoft), opéré en partenariat avec Orange et Thales – preuve que la dépendance ne se résout pas du jour au lendemain.

Il faut aussi rester lucide : le chemin de l’indépendance numérique est long et semé d’embûches. L’exemple de Munich est souvent cité. La métropole bavaroise avait migré ses postes vers Linux dans les années 2000 (projet LiMux) avant de revenir partiellement à Windows en 2017, suite à des problèmes de compatibilité et à un changement politique. Cela rappelle que le succès d’une migration open source dépend autant des considérations techniques que de la volonté politique sur la durée. Dans le cas danois, le pari est risqué et les défis techniques réels (interopérabilité des documents, adaptation des agents, etc.). Mais contrairement à Munich, la dimension géopolitique assumée du projet pourrait lui donner une résilience supplémentaire. Ce n’est pas un simple choix technologique, c’est un choix de société et de souveraineté – plus difficile à détricoter pour un gouvernement suivant, car il touche à des valeurs fondamentales (indépendance, sécurité nationale, maîtrise budgétaire).

La décision du Danemark apparaît comme un signal fort envoyé à l’Europe. « Une décision politique forte, au nom de la souveraineté numérique, mais un pari technique loin d’être gagné d’avance(source : generation-nt.com ) », résume un média spécialisé. Elle illustre comment les considérations géopolitiques influencent désormais la politique technologique d’un pays. La France et d’autres États membres seraient bien avisés d’en tirer des leçons, que ce soit pour suivre cet exemple ou pour redoubler d’efforts afin de développer leurs propres alternatives. L’objectif ? Ne plus jamais se retrouver dans la situation où, par un simple courriel venu de Washington, on pourrait ordonner l’extinction soudaine d’un service public européen essentiel. Le Danemark a choisi de ne pas attendre de le découvrir. Et si c’était là le début d’une vague de fond en Europe ?